L’invité de l’Anfh
« La formation comme levier de transformation du système de santé »

Emmanuel Touzé
doyen UFR Santé, Université Caen Normandie ; président de l’Observatoire national de la démographie des professions de santé

Tous les systèmes de santé du monde sont actuellement confrontés à une situation de crise. Au-delà du manque d’effectifs, il existe un déficit d’attractivité dans certains champs de la santé, des problèmes de répartition géographique et de répartition des champs de compétences entre professionnels. Ces tensions réinterrogent les processus de planification, de régulation et de formation des professionnels de santé.


Les récentes lois de transformation du système de santé et les textes régissant la stratégie nationale ont pourtant permis des avancées significatives sur les questions de planification, de sélection des étudiants et d’organisation des formations. Doit-on et peut-on aller plus loin ? Au-delà de son adaptation aux besoins, la formation doit pouvoir anticiper les changements et être un levier de la transformation du système de santé.

Revoir les politiques de régulation

Pour être efficace, une politique de planification implique une bonne connaissance de l’offre et du besoin, d’ajuster en continu les flux de formation et de s’assurer que les comportements d’exercice et de carrière sont conformes aux hypothèses. Or, jusqu’alors le suivi des effectifs n’est pas opérationnel pour toutes les professions, l’évaluation des besoins de santé n’a été que sommaire et les projections démographiques ont été insuffisamment nourries d’hypothèses. Le manque de cohérence de la régulation a conduit à des ajustements trop lents et à un certain malthusianisme.

La réponse ne peut pas se limiter à une augmentation du flux d’entrée d’étudiants : d’autres enjeux existent, comme limiter les fuites en cours de formation et en début de carrière, former des professionnels dans tout le spectre des besoins de santé, assurer une répartition territoriale des professionnels en cohérence avec des parcours de soins gradués et rendre les pratiques professionnelles efficientes et conformes aux attentes. Un rapport récent du HCAAM, en collaboration avec l’ONDPS et la DREES, propose de revoir le pilotage de la prospective des ressources humaines en santé1, notamment par une meilleure évaluation des besoins de santé.

Élargir le spectre des étudiants recrutés

Le recrutement d’étudiants ayant des bases scientifiques solides est justifié et répond au développement de la recherche et de la démarche scientifique. Cependant, certains champs de la santé nécessitent des compétences plus importantes en sciences humaines et sociales. La carence de ces profils pourrait expliquer les difficultés actuelles de couvrir certains champs de la santé comme la santé mentale, la prévention, les personnes âgées, la santé scolaire, etc.

En 2006, une étude de la DREES estimait que plus de 40 % des médecins, pharmaciens ou chirurgiens-dentistes en activité étaient des enfants de cadres supérieurs contre seulement 13 % des infirmières2. Ce déterminisme social est de plus lié à un déterminisme géographique, les cadres supérieurs vivant plus souvent dans les grandes villes. Or, les étudiants issus de milieux ruraux sont les plus susceptibles d’exercer dans ces milieux à l’issue de leur formation. La réforme de l’accès aux études en santé offre une opportunité de diversification des profils d’étudiants. S’il est trop tôt pour évaluer son impact, de nouveaux profils devraient permettre de mieux couvrir les champs de la santé. De plus, la réforme a ouvert l’accès aux étudiants des formations paramédicales, amplifiant le recrutement d’étudiants venant de sites universitaires n’ayant pas de faculté de santé.

Déconcentrer et décloisonner les formations

Pour faciliter l’installation des professionnels hors des métropoles, il est important de favoriser les stages hors des CHU, tout en donnant des capacités d’encadrement universitaire à ces territoires. Des expériences d’universitarisation des hôpitaux périphériques sont en cours. Véritables antennes universitaires de santé, ces sites permettent d’augmenter l’accueil des étudiants et de développer une activité de recherche. À titre d’exemple, la faculté de santé de Caen et l’ARS Normandie ont permis de créer des postes de professeurs ou maîtres de conférences associés dans les hôpitaux de Cherbourg, Saint-Lô, Avranches, Lisieux.

Par ailleurs, les nouvelles organisations des soins primaires semblent avoir des effets positifs en renforçant l’attractivité de la médecine générale et en favorisant l’installation des professionnels dans les zones organisées autour de maisons de santé pluriprofessionnelles, notamment si elles sont universitaires (MSP-U) grâce aux médecins généralistes enseignants, et de CPTS (communautés professionnelles territoriales de santé). L’étendue des missions de ces dernières devrait en faire un lieu privilégié pour la formation des professionnels dans le domaine des soins de proximité.

Enfin, l’évolution du système de santé et les attentes des usagers imposent de repenser pour partie nos formations de façon pluri-­professionnelle et d’évaluer nos besoins en professionnels par grandes filières de soins (ex. : soins primaires, santé bucco-dentaire, urgences et soins critiques, santé de la femme, santé de l’enfant, etc.).

S’appuyer sur la formation tout au long de la vie

Le système de formation doit faciliter les évolutions de carrière dans le soin, mais aussi vers des métiers moins en prise directe avec les soins en milieu ou fin de carrière. Il faut développer massivement les parcours de promotion professionnelle à tous les niveaux de formation, faciliter la montée en compétences des professionnels paramédicaux, développer des pratiques avancées ou spécialisées en fonction des besoins de santé, valoriser l’exercice en zone sous-dense pour l’accès aux formations nécessaires aux évolutions de carrière. L’accès direct en 2e année de formation infirmière pour des aides-soignantes, les passerelles entre les professions paramédicales et médicales et l’accès à un 2e diplôme d’études spécialisées pour les médecins en exercice constituent des exemples dans ce sens. Enfin, permettre l’accès à des fonctions managériales à des professionnels de santé intéressés et motivés est un enjeu important de formation.

Les réformes actuelles des formations en santé vont dans le sens d’un décloisonnement entre les professions, afin de développer une culture commune. Néanmoins, tout décalage entre la formation et l’exercice futur aboutirait à des professionnels mal adaptés, peu impliqués voire démotivés. Une agilité dans l’application des référentiels de formation et dans leur capacité à intégrer rapidement les évolutions et innovations est donc indispensable.

  1. https://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/atoms/files/hcaam_2024_def_rapport_prospective_rh.pdf

  2. P. Breuil-Genier & D. Sicart. Études et Résultats n° 496, juin 2006.